Le dimanche 5 juillet était censé être presque un autre jour pour les vendeurs
informels de Chitungwiza, banlieue de la capitale du Zimbabwe, Harare.
Au Zimbabwe, les vendeurs informels ont toujours été confrontés au harcèlement des policiers. Même si la plupart de la population est occupée dans l’économie informelle, les autorités n’ont jamais traité les vendeurs informels avec bienveillance. L’arrestation et la confiscation des marchandises sont la routine, et au cours des dernières décennies le gouvernement a mené plusieurs opérations pour pénaliser et faire disparaître les travailleurs de l’économie informelle.
Cependant, les événements du 5 juillet ont été choquants même pour tous ceux qui se sont habitués aux usages zimbabwéens.
Tout a commencé par une descente de police au marché de Jambanja. Depuis le
confinement, le harcèlement et la violence contre les vendeurs informels se
sont intensifiés. Les objets des vendeurs informels ont été démolies et on leur
a reproché la propagation du COVID-19.
Lorsque la police est entrée sur le marché avec l’intention d’arrêter des vendeurs
et de confisquer leurs marchandises, Samson Chamunorwa Zharare a immédiatement
tenté de fuir. Samson est vendeurs depuis environ 5 ans et il savait donc à
quoi s’attendre. Il a sauté sur le siège conducteur de sa voiture, garée de
façon à partir immédiatement.
Soudain, les policiers ont tiré deux coups de feu. L’un d’eux a frappé
Samson à la jambe, provoquant une grosse blessure. Les vendeurs étaient alarmés
et paniqués, certains ont réussi à prendre des photos de la situation. Alors
que certains policiers tentaient de disperser la foule, d’autres sont partis avec
Samson. Il a été emmené dans une clinique pour recevoir des soins pour sa grave
blessure par balle.
Alors que la nouvelle sur les coups de feu se répandait et que la société
civile commençait à dénoncer la situation, la police a rapidement réajusté l’histoire.
Samson a été accusé de tentative de meurtre et de résistance à l’arrestation
pour avoir prétendument tenté d’écraser des policiers, et il a été soumis à un
procès pendant qu’il se rétablissait à la clinique. Il était en état
d’arrestation depuis le 8 juillet et le juge de la Haute Cour de Justice,
Chitapi, l’a mis en liberté sous caution de 5000 dollars RTGS le 21 juillet,
bien que Samson n’ait pas commis ces crimes et nécessitera probablement une
intervention chirurgicale complexe pour retrouver l’usage de sa jambe.
COVID-19 : n’est-ce qu’un prétexte pour
éliminer les travailleurs de l’économie informelle ?
En avril 2020, la Chambre des Associations de l’économie informelle du Zimbabwe (ZCTEA) avait déjà dénoncé la situation à Chitungwiza. Le leader territorial de la ZCIEA, responsable de cette zone, Ratidzo Mfanechiya, a donné un témoignage vidéo saisissant sur la lutte des vendeurs pour leur survie.
Pendant le confinement, de nombreux objets appartenant aux vendeurs informels ont été détruits. Bien que les vendeurs aient tenté de contester cette décision devant les tribunaux, leur demande a été rejetée.
Afin de redémarrer leurs activités, les vendeurs informels doivent se faire enregistrer, ce qui implique le paiement d’une licence aux autorités locales et des frais fiscaux liés l’obtention d’une autorisation. Cependant, les vendeurs informels ne sont pas en mesure de payer le coût élevé – ils vivent au jour le jour et leurs revenus ne couvrent pas les dépenses requises pour l’enregistrement. Bien que la ZCIEA encourage ses membres à se faire formaliser, les coûts inabordables bloquent les activités des vendeurs dans l’économie informelle.
Le représentant de la ZCIEA, Fungai Munetsi, explique que les travailleurs de l’économie informelle ont toujours été blâmés chaque fois qu’une épidémie se produit. Qu’il s’agisse du choléra, de la typhoïde ou du COVID-19, les travailleurs qui sont poussés vers l’économie informelle en raison de la crise économique sont considérés comme des agents infectieux et sont donc persécutés au nom de la santé publique.
La pandémie COVID-19 n’est que le dernier chapitre de l’histoire de la
violence au Zimbabwe contre les travailleurs de l’économie informelle, en
particulier les vendeurs.
Un historique de violence contre les vendeurs
informels
En 2005, l’opération Murambatsvina – dit « Opération d’ébouage »
– a été l’une des plus violentes et des plus agressives contre les vendeurs
informels dans l’histoire du Zimbabwe. Dirigée par le gouvernement du Zimbabwe
sous l’ancien président Robert Mugabe, elle a entraîné la démolition de maisons
et de lieux de travail et a choqué le monde.
« Dans les circonstances actuelles d’intimidation et de coupures médiatiques sporadiques, les bribes d’information filtrée sur la démolition de maisons, d’endroits de casse-croûte, de marchés et d’autres constructions ou lieux de vente, les tabassages des vendeurs qui, face à cette offense, tentent de gagner leur vie dans une économie extrêmement faible, créent une image cohérente des pires formes de violences et de harcèlement dans le monde du travail (…) StreetNet considère que de telles actions envers nos co-sœurs et co-frères au Zimbabwe sont brutales, inacceptables et sont menées en violation de leurs droits de l’Homme et ceux des travailleurs . Dans une économie où moins de 15,5% de tous les travailleurs au Zimbabwe sont des employés rémunérés avec des contrats à durée indéterminée, ce qui oblige une grande quotité de main-d’œuvre à travailler dans l’économie informelle, un dialogue approprié et de bas en haut et une approche basée sur des solutions, plutôt que les déplacements forcés qui victimisent les travailleurs de l’économie informelle, seraient plus appropriés. Ces travailleurs ont le droit de gagner leur vie pour eux-mêmes et pour leurs familles ».
Malgré les appels au gouvernement du Zimbabwe pour qu’il change d’attitude
envers les vendeurs informels et négocie des solutions, il semble que la
persécution des travailleurs de l’économie informelle ne fait qu’empirer. La
fusillade de Samson était choquante, mais la ZCIEA n’est même pas en mesure de
savoir combien de travailleurs ont été harcelés ou agressés depuis le début de
l’année. « Il a été le premier à être touché par balle, mais en matière de
harcèlement, il y en a plusieurs », dit Fungai. « Les gens veulent
survivre, mais les autorités font compliquer la survie ».
Les vendeurs informels se mobilisent pour faire
respecter leurs droits
Comme le dit Fungai: « Les
travailleurs de l’économie informelle ont été harcelés et chassés de temps
immémoriaux ». Cependant, ZCIEA fait une différence au niveau local.
Pour contredire l’idée fausse que les vendeurs informels sont sources de propagation
des virus, ZCIEA fournit des masques et des désinfectants en fonction des
ressources disponibles. La plupart de ses membres prennent soin de porter des masques
et essaient de se conformer aux directives de santé publique.
La ZCIEA investit également dans l’établissement de relations avec les autorités locales pour assurer un dialogue entre les vendeurs informels et les décideurs. Ils ont déjà signé plusieurs protocoles d’accord, mais les autorités disposées à s’associer à eux sont encore minoritaires.
Les vendeurs informels exigent de mettre fin aux
brutalités policières
Au moment où le mouvement #BlackLivesMatter a fait générer plusieurs
manifestations dans divers pays contre la brutalité policière, la vulnérabilité
unique des vendeurs informels au harcèlement et aux agressions n’est toujours
pas de notoriété publique.
La violence policière contre les travailleurs de l’économie informelle au
Zimbabwe n’est pas un incident isolé. Selon Fungai, la violence et le
harcèlement sont également en augmentation contre le grand public et plusieurs
personnes sont persécutées pour le fait de ne pas se conformer aux
réglementations. Le fait de ne pas porter de masque, par exemple, entraîne une
amende de 500 dollars RTGS, un montant élevé, et les policiers harcèlent ceux
qui ne se conforment pas ou sont incapables de payer l’amende.
Mais les coups de feu au marché de Jambanja sont un tournant décisif non
seulement parce qu’un vendeur de rue a été violemment agressé, ce qui peut
entraîner un handicap à la vie de Samson, mais c’est la façon dont l’histoire a
été renversée pour dépeindre les policiers comme des victimes de tentatives de
meurtre en représailles en légitime défense, qui est encore plus alarmante. Au
lieu de tenir les policiers responsables, l’histoire de Samson est une mise en
garde dangereuse pour intimider les vendeurs informels au Zimbabwe – même quand
ce sont eux qui sont ciblés, ils sont toujours présentés comme des criminels.
Lorsque la ZCIEA a été informée du fait que Samson était devenu victime des coups de feu, ses membres ont publié une déclaration dénonçant la brutalité policière contre les vendeurs informels :
« La ZCIEA représente les travailleurs de l’économie informelle au Zimbabwe et, par conséquent, nous ne pouvons ignorer ce mauvais incident. Cet incident malheureux montre que la police ne s’acquitte pas de son mandat de protection du public mais qu’elle brutalise désormais des vendeurs innocents qui tentent de gagner leur vie. Des coups de feu réels sur des civils n’ont pas la raison d’être. Cette action de la police de la République du Zimbabwe contre les travailleurs de l’économie informelle n’est pas nouvelle car ses officiers pillaient toujours leurs marchandises et confisquaient leurs marchandises. L’économie informelle du Zimbabwe ne peut pas respirer en raison de la brutalité policière. De tels actes offensifs contre les travailleurs et les vendeurs de l’économie informelle doivent être cessés immédiatement. (…) Il est dommage de se rendre compte que les agents de sécurité de l’État utilisent le confinement du COVID-19 pour attaquer les vendeurs informels ou monter des opérations contre les citoyens pauvres et innocents du Zimbabwe qui ont également droit à la vie et à l’emploi sans aucune consultation avec partie prenante. De tels personnages constituent une menace pour le développement de la société. Nous voulons tous vivre dans un pays heureux, sain, amical et pacifique, plein de responsabilité et de respect des droits de l’Homme. Notre effort collectif devrait viser la lutte contre le COVID-19 et non pas les vendeurs ».
StreetNet International soutient la ZCIEA qui déclare que #InformalTradersLivesMatter / La vie des vendeurs informels vaut et dénonce cette horrible situation au monde. StreetNet International réitère une fois de plus les appels lancés au gouvernement du Zimbabwe en 2019 :
« Nous exhortons le gouvernement zimbabwéen à adopter une approche plus inclusive pour traiter avec les vendeurs de rue au Zimbabwe à travers des négociations avec des organisations de vendeurs de rue (…) Nous exhortons en outre le gouvernement zimbabwéen à libérer les militants de la société civile et les syndicalistes emprisonnés, et à laisser la loi prendre son déroulement conformément aux normes internationalement acceptées et au respect des droits de l’Homme ».
Ni Samson ni aucun autre vendeur informel essayant de gagner sa vie pendant ces temps difficiles ne doit être placé en prison. Ce type de harcèlement et de violence est intolérable et constitue une violation complète de la Convention 190 (C190) de l’OIT, qui reconnaît, entre autres “le droit de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement, y compris de violence et de harcèlement fondés sur le genre” et ” que la violence et le harcèlement dans le monde du travail peuvent constituer une violation des droits humains ou une atteinte à ces droits, et que la violence et le harcèlement mettent en péril l’égalité des chances et sont inacceptables et incompatibles avec le travail décent”.
Les travailleurs de l’économie informelle méritent d’être entendus, soutenus et aidés – ils ne devraient jamais être brutalisés pour avoir tenté de survivre !
La situation des vendeurs informels dans de nombreux pays reste critique. Aujourd’hui plus que jamais, leur contribution essentielle au développement social et économique doit être reconnue. StreetNet International mobilise tous ses affiliés et ses sympathisants pour promouvoir les droits des vendeurs de rue, des colporteurs et des vendeurs transfrontaliers pendant la crise pandémique de COVID-19. Suivez-nous sur Facebook et Twitter, et faites amplifier notre message.