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Lutte collective : UNICAB (Brésil)

« Il faut affronter, résister et persister »

Le Syndicat national des colporteurs, des vendeurs de rue et du marché du Brésil – UNICAB a été fondé en juillet 2015, après de nombreuses années de lutte menée par divers militants dans plusieurs villes brésiliennes. Pour comprendre comment l’organisation a-t-elle été créée et comment a-t-elle stimulé la lutte des vendeurs de rue au Brésil, nous nous sommes entretenus avec les membres de l’organe exécutif élus au Congrès 2019, Juliano Fripp et Maria de Lourdes do Carmo (également connue sous le nom de Maria dos Camelôs), afin de partager leur point de vue sur l’évolution de l’UNICAB et la lutte collective pour les colporteurs et les vendeurs de rue et du marché au Brésil.

Mobilisation autour de la Coupe du monde 2014

La création de l’UNICAB a été stimulée par la Coupe du monde au Brésil, en 2014. Dès le moment où le pays a été choisi pour accueillir ce méga-événement international, les mouvements sociaux au Brésil et dans le monde ont commencé à se préparer pour prévenir les abus qui avaient eu lieu dans d’autres pays. Comme l’explique Juliano : « Quand il y a une Coupe du monde, les politiciens essaient de cacher les choses qui sont vilaines pour les touristes, ils les balaient sous le tapis, pour montrer une ville magnifique et merveilleuse. Le Brésil, n’y fait pas exception. Ils ont essayé de cacher des sans-abris, et, en particulier, des colporteurs et des vendeurs de rue ».

Pour StreetNet, ce type de méga-événement international avait déjà été identifié il y a longtemps comme un risque supplémentaire pour les droits des vendeurs informels. Par conséquent, avant la Coupe du monde, en Afrique du Sud, en 2010, StreetNet avait développé la campagne dite « World Class Cities for All » (Villes de classe mondiale pour tous), pour empêcher les préparatifs de la Coupe du monde de nuire aux vendeurs de rue et à leur droit au travail.

La campagne a ensuite été reproduite au Brésil, à partir de 2011. L’organisatrice actuelle pour la région des Amériques, Maíra Vannuchi, a commencé à travailler en tant que représentante de StreetNet dans le pays, rencontrant de nombreux militants pour les droits des colporteurs et des vendeurs de rue et du marché, et établissant un réseau de contacts entre plusieurs « points chauds » de la lutte collective qui avaient été dispersés jusque-là. La coordination nationale des leaders des vendeurs informels des villes hôtes a abouti au document « Coupe du monde pour tous – le portrait des vendeurs de rue dans les villes hôtes de la Coupe du monde de 2014 » (World Cup for All – the portrait of street vendors in the host cities of the World Cup of 2014), publié dans un reportage et lors d’une réunion nationale de la Confédération syndicale des Amériques (TUCA-CSA), à Sao Paulo, qui a abouti à une lettre nationale à la FIFA.

« UNICAB est en fait né en 2013, avant la Coupe du monde, quand il y avait une grande mobilisation par le biais de StreetNet », se souvient Juliano. « Les gens de différents États du Brésil ont été encouragés à rencontrer d’autres personnes impliquées dans la lutte des vendeurs de rue et du marché dans chaque capitale. Et cela a vraiment renforcé le mouvement ».

Des militants de Rio Grande do Sul, comme Juliano par exemple, sont allés rendre visite à leurs camarades à Rio de Janeiro et vice-versa, ce que nous appelons à StreetNet des visites d’échange. Cette approximation leur a permis de comprendre les similitudes des différentes luttes menées par les vendeurs informels dans divers endroits du Brésil.

« Lorsque nous avons commencé à nous parler, nous avons ressenti le besoin d’organiser un mouvement national pour répondre aux demandes des colporteurs, d’avoir cette représentation nationale. Et nous avons créé UNICAB », résume Maria. « C’était l’effort de militants de plusieurs États, parce que nous avions besoin de ce parapluie national pour défendre correctement les droits des travailleurs de l’économie informelle, des colporteurs urbains et des vendeurs ».

L’articulation entre plusieurs mouvements et la mobilisation nationale ont conduit à des résultats immédiats au niveau local. Juliano souligne le Couloir de la Coupe du monde (Corredor da Copa) à Porto Alegre, un espace disponible pour les vendeurs de rue pour travailler du stade de Porto Alegre jusqu’au centre historique de la ville, comme une réalisation importante. Des succès similaires ont été obtenus dans d’autres villes grâce à la lutte des mouvements locaux, soutenus au niveau national.

Néanmoins, cette mobilisation n’aurait pas été possible sans le travail précédemment mené par les militants eux-mêmes. Comme l’explique Juliano : « le travail de mobilisation, le travail de lutte, cela n’a pas commencé avec StreetNet ou avec UNICAB. Cela a commencé avant. Je travaille dans la rue depuis 1990. En 2001, nous avons créé l’Association Feira Rua da Praia – ASFERAP, la première association centrée sur cette catégorie de travailleurs dans l’État de Rio Grande do Sul. Cela signifie que le travail de mobilisation a commencé il y a de nombreuses années. Et cela a continué après la Coupe du monde ».

Le mouvement des colporteurs unifiés – MUCA (United Hawkers Movement – MUCA) a également été créé de nombreuses années avant la Coupe du monde, en juillet 2003, par un groupe de colporteurs dirigé par Maria, en réponse à une agression de la garde municipale de Rio de Janeiro qu’elle avait subie alors qu’elle était enceinte.

Le regroupement de plusieurs mouvements dispersés leur a permis d’identifier les enjeux et priorités collectifs. L’un des exemples mis en évidence par Juliano est la question des camelódromos, zones fermées, spécialement destinées pour les marchés populaires, créées par les autorités municipales pour accueillir des colporteurs et des vendeurs de rue. Bien que les projets de camelódromos aient été initialement soutenus par des mouvements de vendeurs, comme le cas à Porto Alegre, dans lequel ASFERAP a négocié et a soutenu la création d’un camelódromo dans la ville en 2009, la reprise de cet espace par une entreprise privée l’année suivante s’est traduite par l’expulsion de plusieurs vendeurs pour ne pas pouvoir payer le bail. Sur 800 vendeurs de rue qui s’y sont installés la première année, seuls 100 d’entre eux ont réussi à conserver leurs magasins jusqu’à aujourd’hui, tandis que le reste de l’espace est occupé par des petits entrepreneurs. « La lutte est intense. Maintenant, ces 700 vendeurs qui ont quitté le camelódromo se sont retrouvés dans la rue », explique Juliano. Les rues sont dangereuses car « de temps en temps, des policiers viennent appréhender, battre, voler des marchandises. Donc, la prochaine lutte pour nous est de pouvoir régulariser le travail de l’économie informelle à Portalegre. Maria à Rio de Janeiro et ses camarades à Recife, São Paulo, Paraíba, s’engagent tous dans cette lutte, qui est la même. C’est la lutte pour le droit à la ville, pour le droit au travail ».

Alors que l’UNICAB se positionne sur plusieurs fronts, l’organisation ne cesse de croître et peut s’affirmer en tant que force politique. Pour Maria, la création de l’organisation elle-même en tant que front uni de plusieurs mouvements de vendeurs informels, est sa plus grande réussite.

L’affirmation politique des colporteurs et des vendeurs de rue et du marché au Brésil

La création de l’UNICAB en tant qu’entité nationale représentative des colporteurs et des vendeurs de rue et du marché au Brésil était essentielle pour l’affirmation politique et la reconnaissance de ces travailleurs.

« Partout où nous menons ces luttes, nous nous portons comme des représentants de l’UNICAB et c’est très puissant lorsque vous faites face au conseil municipal, au maire ou au gouverneur. Non, nous sommes les représentants d’une entité nationale », déclare Juliano.

Malgré la distance entre les différentes organisations qui composent l’UNICAB, ses membres interagissent régulièrement et coordonnent les actions. Cette articulation est bénéfique pour l’UNICAB en tant qu’entité nationale, mais elle renforce également les mouvements locaux. Un excellent exemple de la dynamique locale / nationale que l’UNICAB a réussie à développer, est la réponse rapide aux défis de la pandémie COVID-19.

« Lorsque la pandémie a commencé, nous avons été immédiatement inquiets. Qu’en est-il des travailleurs de l’économie informelle ? », se souvient Juliano. Avec le groupe UNICAB et divers mouvements sociaux et syndicaux et des députés fédéraux alliés, ils ont réussi à faire pression sur le pouvoir politique et à lancer, au Congrès national, un projet du gouvernement fédéral sur le revenu d’urgence de base.

La proposition initiale consistait en octroi d’un revenu de base de 1000 réais contre la proposition de 200 réais du président Jair Bolsonaro. L’accord final prévoyait un revenu d’urgence de base de 600 réais pour une période de six mois, qui a ensuite été prolongée jusqu’en décembre 2020. « Nous n’avons pas obtenu les 1000 réais, mais le revenu d’urgence de base a complètement changé la donne. Et c’était notre lutte, une lutte articulée, à laquelle tous les travailleurs de l’économie informelle ont participé. C’est un héritage historique », déclare Juliano.

En plus d’obtenir le revenu d’urgence de base (vous pouvez en savoir plus sur cette politique ici), l’UNICAB a également réussi à rassembler les signatures nécessaires des membres du Congrès fédéral pour créer un Front parlementaire ayant pour objectif de défendre les droits des vendeurs informels au Congrès national du Brésil. Pour la première fois dans l’histoire, cette catégorie de travailleurs sera représentée dans la plus haute sphère du pouvoir politique au niveau national. « Le Front parlementaire est une réalisation qui modifiera complètement nos relations avec les gouvernements, car nous aurons plusieurs membres du Congrès de différents États pour défendre le travail des colporteurs et des vendeurs de rue et du marché », souligne Juliano. « C’est un héritage impressionnant ».

Qu’est-ce qui distingue la lutte collective au Brésil des autres contextes ?

Pour une organisation créée il y a moins de dix ans, l’UNICAB a de nombreuses grandes réalisations, compte tenu notamment du contexte politique défavorable avec le président Jair Bolsonaro au pouvoir et un gouvernement hostile à la lutte des mouvements ouvriers et sociaux.

Du point de vue de Juliano, l’approche politique de l’UNICAB pourrait distinguer la lutte collective des vendeurs informels au Brésil d’autres contextes. Bien que l’organisation ne soit pas associée à des partis politiques, elle a une orientation politique claire de gauche. Et elle n’a pas peur de s’impliquer dans la politique des partis pour faire avancer son programme.

« Plusieurs mouvements ne sont pas d’accord avec l’idée de participation des membres du conseil municipal et ceux du Congrès, en raison de l’ignorance. Mais nous les avons toujours amenés. Je ne sais pas si cela distingue la lutte au Brésil, mais c’est l’un des aspects possibles. Nous avons une relation avec les partis de gauche et nous avons établi un respect mutuel, nous les respectons et ils nous respectent. C’est une rue à double sens ; ils nous aident lorsqu’ils sont au pouvoir et nous les aidons à être réélus. Il s’agit d’une très bonne relation. Et cela fait une différence, dans tous les États ».

Cependant, une autre initiative plus innovante consiste à encourager les colporteurs et les vendeurs de rue et du marché eux-mêmes à se porter candidats aux élections politiques au niveau local. Lors des élections municipales au Brésil, en novembre 2020, plusieurs membres de l’UNICAB étaient candidats au conseil municipal. « Par exemple, Maria était candidate à Rio, João Baptista était candidat à Sapucaia do Sul, Jacque da Tinga à Porto Alegre, Belloto à Recife », explique Juliano. Bien que le nombre de voix n’ait pas été suffisant pour qu’ils soient élus, la présence de ces candidats a fait les droits des vendeurs informels faire partie de l’agenda politique des élections. « Lorsque les candidats se présentent à la télévision pour défendre les vendeurs de rue, cela influence la société », souligne Juliano.

Contrairement aux organisations de certains pays, au sein de l’UNICAB le leadership féminin est fort. « Les organes exécutifs de l’UNICAB sont principalement composés de femmes », déclare Maria. « Les femmes peuvent s’affirmer, présenter leurs revendications et leurs préoccupations ». Beaucoup de ces femmes sont des leaders au niveau local ou national dans leurs propres organisations et, selon Maria, elles sont déjà formées pour participer au débat politique. « Nous nous affirmons, nous sommes respectées, ce sont des gens avec une conscience politique », ajoute-t-elle.

Une autre question qui différencie le contexte brésilien des autres pays est la relation avec le mouvement plus large en matière des droits des travailleurs de l’économie informelle. Bien que dans certains pays, l’unité de ces travailleurs soit leur force, Juliano souligne que les colporteurs et les vendeurs de rue et du marché sont le seul groupe de travailleurs de l’économie informelle dont l’activité n’est pas du tout réglementée, que ce soit au niveau municipal, étatique ou national. « Nous devons être proches, oui, mais notre lutte doit être autonome », déclare-t-il.

Outre cet aspect, alors que dans d’autres pays, les organisations de vendeurs informels ont établi des liens solides avec les syndicats, ce n’est pas une priorité pour l’UNICAB. Cependant, ils entretiennent de bonnes relations avec la Centrale syndicale des travailleurs – CUT. « Il y a une approximation très intéressante », dit Juliano, « nous ne pouvons tout simplement pas perdre notre autonomie, jamais ».

La relation entre UNICAB et StreetNet

Vu que StreetNet avait joué un rôle mobilisateur pour la création d’UNICAB, les deux organisations entretiennent des relations solides. Juliano est l’actuel représentant de l’UNICAB dans les structures internes de StreetNet et il s’assure que cette affiliation est connue des pouvoirs publics.

« Lorsque nous nous présentons, je parle d’UNICAB et je fais également référence à StreetNet. Et quand je dis qu’il y a une entité internationale, les gens tremblent », dit Juliano, se référant à son expérience dans les négociations avec les pouvoirs publics. « Le fait que nous soyons affiliés nous distingue, et cela nous fait grandir ».

Au-delà des références internationales, Juliano reconnaît également la contribution essentielle de StreetNet à la lutte nationale. « StreetNet a réalisé pour nous la résolution 204 de l’OIT », cite-t-il à titre d’exemple. En outre, il considère que les cours de formation organisés par StreetNet et le soutien continu offert par l’organisation sont très importants. « StreetNet a vu que c’était possible, et cela devrait aider notre mouvement. Parce que quand UNICAB grandit, StreetNet grandit aussi. C’est donc une convergence qui devient le mélange parfait pour que le mouvement grandisse de plus en plus ».

L’UNICAB fait partie de la région Amériques dans les structures internes de StreetNet, donc Juliano, en tant que représentant, est constamment en contact avec d’autres camarades d’Amérique latine. « Il y a eu et il y a des réunions, des débats sains et démocratiques et des échanges d’expériences dans toute l’Amérique latine », ajoute-t-il.

Les meilleures pratiques de la lutte collective de l’UNICAB à partager avec d’autres organisations de vendeurs de rue

Vu que l’UNICAB est une organisation qui a réussi à s’affirmer de manière si forte en peu de temps, nous avons demandé à Maria et Juliano s’ils avaient des conseils pour d’autres militants qui mènent maintenant leurs propres luttes collectives.

Maria suggère que les militants « recherchent l’unité et manifestent leur confiance pour cette catégorie de travailleurs. Être juste, très honnête et être avec les gens de la rue, ressentir dans sa peau ce que ces gens traversent. Rechercher des partenariats avec d’autres personnes et entités est également très important. Cela vous donne de la force pour vous battre, et vous ne vous sentez pas seul. Rassembler la population, rassembler les travailleurs et faire pression sur le pouvoir politique, au niveau municipal, étatique et fédéral. Cette pression politique est très importante ».

Quant à Juliano, il dit que « son conseil repose sur ce qu’il fait : la construction d’un processus collectif. Cela signifie être conscient de ce dont nous avons réellement besoin, non pas de vous, mais tous, et combattre la lutte. Ne vous vendez pas, ne vous abandonnez pas et combattez avec courage ! Vous devez faire face à la police et aux politiciens qui veulent détruire le mouvement ! Affronter, résister et persister ! », résume Juliano. « Si vous faites cela, vous irez loin, mais vous devez construire le collectif ; les gens doivent comprendre que la lutte est collective. Etant tous seuls, à deux, à trois, ils ne pourront pas combattre la lutte. Ils ne réussiront dans leur lutte que lorsqu’ils sont cent, trois cents ». Il ajoute également qu’il ne faut pas avoir peur des désaccords, il faut apprendre à débattre.

Voilà les conseils à suivre par nous tous, en nous nous inspirant de l’héritage impressionnant que l’UNICAB a réussi à créer jusqu’à présent !

Pour connaître UNICAB et son travail acharné auprès des colporteurs et vendeurs de rue et de marché au Brésil, nous vous suggérons de suivre leur podcast Radio Ambulante (en portugais).

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